3.4.08

As she is.

Le plaisir d'écouter un artiste en direct est un sentiment très particulier, qui s'explique assez aisément. L'une des principales raisons qui nous poussent à parcourir monts et merveilles pour obtenir le précieux sésame qui nous ouvrira les portes du paradis, est naturellement cette envie d'entendre l'authenticité du son, mais aussi d'assister à un événement unique qui a lieu ce soir là, dans cette salle et qui, dès les lumières rallumées, aura cessé d'exister à tout jamais. Ce goût pour l'imprévu du show me pousse quotidiennement à parcourir les labyrinthes du net pour connaître à tout moment les dates des dernières représentations de mes artistes de prédilection, que je ne saurais rater pour rien au monde (ou presque). Oui certes, ça fait un peu "fan de" mais Séverine Ferrer vous le dira mieux que moi (euh je suis en train de citer Séverine Ferrer là c'est bien ce que je fais ?) : "Prenez le temps de vivre la musique, et vous verrez, vous en deviendrez très vite accro. A la semaine prochaine".
La question du jour peut donc s'énoncer ainsi : Y a-t-il un quelconque intérêt à aller voir jouer le même artiste à quatre jours d'intervalles ? Réponse courte : "Oui" avec un "si...". Réponse longue : "Non" avec un "mais...". Partant du principe que chaque concert est unique et qu'on ne vit qu'une fois (surlignez la/les banalités ci-avant), c'est non sans un grand sourire que j'y réponds affirmativement, en ajoutant même que c'est désormais ma ligne de conduite.
Pour en revenir à nos moutons, il m'aura donc fallu un double concert d'Alicia Keys pour me remettre dans le virus de la critique subjective (tous à vos crayons, cherchez la figure de style) , et me déboucher les oreilles, toujours une seule à la fois, bien sûr. Deux ambiances, deux salles, deux univers. A choisir entre Bercy et le Zénith (de Paris...) le choix est vite fait, mais c'est d'abord dans la plus grande salle que j'ai commencé la série (n'ayant pas encore l'idée d'aller au prochain, ni de réfléchir à comment me procurer des places).
Un palais omnisports plein à craquer, un Chabat enjoué et moqueur arrivé au dernier moment, une vendeuse de sandwichs complètement stone et un Heyzo au taquet, tels étaient les prémices d'une soirée s'annonçant sous les meilleurs auspices. Et ce qui devait arriver, vous vous en doutez bien, arriva.
Je chantonnais le refrain de Prelude to a kiss, chanson qui tient à peu près ce langage : "Can you send me an angel ?". Et Ô stupeur, mes voeux furent exaucés instantanément (comme si il suffisait de chanter Fallin' pour tomber amoureux...). Après une introduction digne des plus grands studios hollywoodiens, la belle Alicia apparue sur scène, dans un nuage de fumée, derrière son inséparable piano. Et là, j'étais déjà tombé parterre alors que le concert n'avait même pas commencé.
Avec une classe et un sens du rythme à en faire baver plus d'un, elle commence tambour battant (j'ai envie de dire batterie battante surtout...) par piquer ça et là quelques titres au hasard dans ses trois albums en les interprétant avec ses choristes et ses musiciens, tantôt joués live, tantôt version album, un régal. Une première partie péchue et dansante à base de petites chorégraphies bien inspirées, c'était ce qu'on pouvait espérer de mieux !
Une bonne heure s'était déjà écoulée (ah bon, je croyais que ça faisait même pas dix minutes ?) quand elle décida de passer aux choses sérieuses en débranchant tout ce qui tournait autour d'elle et de son piano (allez hop, tout le monde dans les coulisses, circulez y'a rien à voir), et ce non sans une certaine auto-dérision : "They told me I have to dance and, you know, take my clothes off, but I prefer to tell you what I feel inside, so I think I'm gonna play my piano".
Et c'est en ça que réside la force et le talent d'Alicia Keys, son amour pour Frédéric Chopin (qui l'avait vu venir celle-là hein ?).
Alors que dans la tête de la plupart des gens, cette jeune femme est associée à des artistes comme Rhianna et Beyoncé, qui jouissent d'une image pas très folichonne (une femme-objet ?), Alicia est en fait, tout simplement, une vraie musicienne. Ses compétences pianistiques, son charisme, son sens de la scène et sa connaissance de l'Histoire de la musique, font de cette parolière-compositrice une artiste d'exception. Ne jouit-elle pas finalement que d'un seul défaut, son charme et sa beauté, qui lui ont longtemps collé sur le front, l'étiquette machiste du monde du R'n'B ?
Oui, Alicia est belle à l'intérieur comme à l'extérieur, et son nouvel opus est là pour le faire savoir. J'ai été touché de plein fouet par la grâce de Fallin' (il y a déjà sept ans quand même, quelqu'un pourrait-il arrêter le temps s'il vous plaît, merci) et la qualité, déjà, de son premier album (et oui, s'arrêter à cette chanson aurait été une grave erreur, écoutez donc Caged Bird), ainsi que le second qui m'a conforté dans mes choix musicaux. Ce mélange soul-pop-piano énergique est un vrai bonheur, j'en redemande. Mais c'est souvent au moment de confirmer qu'on voit si un artiste tient vraiment la route, ou si son talent n'était en fait qu'une erreur de jeunesse (et hop une autre figure de style , à vous maintenant !).
J'appréhendais donc son troisième album, As I am, avec une petite crainte, la crainte de la voir céder aux sirènes du R'n'B (où elle a déjà chuté deux fois médiocrement, en duo avec Usher, puis Eve). Et le single No One n'était pas vraiment annonciateur de bonne nouvelle...
Et bien j'ai été agréablement surpris par la diversité et la justesse de ce œuvre , que dis-je, de ce chef d'oeuvre.
Des chansons comme Lesson Learned, en duo avec John Legend, ou encore Superwoman, qui rappelle Stevee Wonder, écrivent une des plus belles page de la musique Soul. Sa voix suave sur Go ahead, et les cuivres sur Wreckless Love rappellent les plus grandes heures d'Aretha Franklin, de Diana Ross et des miss Motown de l'époque. L' album se termine sur l'extraordinaire Sure look good to me, qui est sans aucun doute la meilleure chanson qu'elle ait jamais écrite.
La deuxième partie du concert commença justement par cette chanson et une heure de piano acoustique nous attendait, dans un Bercy complètement subjugué et bluffé par la prestance de l'artiste.Il fallait être là pour voir toutes ces machoires bloquées, ces yeux sortis de leur orbites, comme si ils avaient eux aussi envie d'entendre cette voix exceptionnelle. La dernière demi-heure fut grandiose, la miss enchaînant tous ses titres phares. Au final, deux heures et demies (fois deux !) d'un show hallucinant, sans interruption qui ne vous laisse même pas sur les rotules, puisque l'émotion qui vous étreint vous fait oublier que vous êtes restés debout depuis tout ce temps et que vous n'avez pas bougé d'un poil.
Et vous allez me dire que vous attendez toujours la réponse à la question posée au début : " Mais pourquoi t'y est retourné quatre jours après ?".
La réponse est simple, l'envie de faire une chose insensée : revivre un moment unique une deuxième fois. Et si cette longue tirade ne vous avait pas encore convaincu, la suite, je pense, vous fera basculer. J'y suis simplement retourné pour entrendre Alicia Keys dire : "I got a little something for you, here he comes on stage, Lenny Kravitz ! ", et les entendre jouer en duo Always on the Run. Pour son dernier concert en Europe, en invitant Mr Lenny Kravitz, elle ne pouvait finir qu'en apothéose ! Il fallait aussi entendre Steeve à ce moment précis : "Ils veulent nous faire croire qu'on est immortel, mais il faut leur dire Lolo, il faut leur dire !"
Si l'humeur vous en dit, il ne vous reste plus maintenant qu'à apprécier ces quelques performances acoustiques qui sont à mes yeux, la seule, la vraie, l'unique et belle image que m'inspire Alicia Keys.
Yes, she sure looks good to me.


That's The Thing About Love



Superwoman



Sure Looks Good To Me



If Ain't Got You